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A la découverte des Seng Bing 僧兵 partie 2: Le cas Shaolin 少林寺

Dernière mise à jour : 9 déc. 2019

Le cas du temple de Shaolin du Henan


Suite à la première partie dans laquelle je décrivais ce qu’étaient historiquement les moines soldats, leur comportement et leur rapport au bouddhisme, je vais maintenant traiter du cas de Shaolin. Je voulais commencer en précisant que mon but n’était pas de brûler (au sens figuré) le temple de Shaolin une énième fois. Je dois bien confesser que je fus moi aussi, un inconditionnel de Shaolin dans ma prime jeunesse. 


Je me souviendrai éternellement de la première fois que je vis les moines en action, au tout début des années 90. Je me trouvais devant la télé, sur la page mosaïque présentant dans des carrés minuscules les chaines du câble auxquelles nous ne pouvions accéder. Je fus subjugué par ce que je vis ce jour-là. Des moines, têtes rasées, vivant dans un monastère reculé, pratiquant les prières et la méditation mais également capable de prouesses qui me paraissaient surhumaines. Qu’est-ce que c’était que cela ? Incroyable, magique… Lors de mon cours de Taiji Quan suivant, j’apprenais de mon professeur qu’il s’agissait des moines bouddhistes de Shaolin. Je devins à partir de ce jour leur plus fervent admirateur. Je collectionnais alors tous les articles, livres, représentations possibles les concernant. Mon but était alors d’aller m’entrainer là-bas, au temple, pour une période d’une année complète. Je voulais devenir moine guerrier. 

J’avais alors 13 ans, j’écrivis avec l’aide de ma mère une lettre au consulat chinois afin de leur demander la marche à suivre. Vous savez quoi ? Ils me répondirent ! Dans un français approximatif mais très amical, ils m’expliquèrent qu’ils ne pouvaient pas me renseigner mais trouvèrent cela hors du commun et saluèrent mon courage.


“- Non mais attendez, vous n’avez pas compris… moi je m’en fiche des politesses ! Je veux m’y rendre, donnez-moi une solution !“


 Finalement, la maturité et l’expérience des années qui suivirent me firent renoncer à l’expérience. Je compris ce qu’était devenu Shaolin et que mon chemin serait ailleurs. Si bien que j’ai d’ailleurs attendu plus de 15 ans de voyages en chine à raison au minima de deux fois par an avant de partir visiter le temple de mes rêves d’enfant. Mon intérêt était ici encore, ailleurs. Je dois maintenant confesser que durant les années qui suivirent, j’ai ressenti une sorte d’aversion (je sais, le mot est dur) envers Shaolin, ses moines et ses pratiques. Sachant d’ores et déjà que l’art martial y avait été recréé, je n’y voyais qu’une farce organisée pour les touristes. Puis, suite à une de mes visites, l’intérêt pour ces pratiques originales mais surtout le comportement historique de ces moines ont fait renaître en moi une affection enfouie.


Voici ma petite histoire pour vous introduire mon intérêt à l’égard du temple. Avant que vous ne lisiez ce qui suit, je tiens à préciser que les recherches que j’ai menées sont impartiales et historiques. Les faits, sont les faits, et si mes commentaires et conclusions sont abruptes, n’y voyez rien de personnel, je fus moi-même, à un moment donné, le plus grand fan du « Premier monastère sous le ciel »…


Alors pourquoi avoir choisi de traiter de Shaolin ? Je ne pouvais pas en toute objectivité faire l’impasse. Shaolin étant le plus documenté de tous les temples ayant abrité des Seng Bing, j’ai donc décidé de l’exposer dans un article séparé et par là-même, d’en décrire les pratiques et mythes popularisés outrageusement. Je vais tenter d’en dresser un portait clair, au plus près de la réalité mais en même temps, bien loin du romantisme que la tradition orale veut bien lui prêter.


Commençons…


Le cas de Shaolin doit être pris différemment selon les diverses périodes de sa riche histoire. Sous les Tang, les Ming et les Qing les choses ne furent pas exactement les mêmes. Je vais donc commencer par développer l’histoire générale chronologiquement, dynastie après dynastie. Présenter les grands écrits et périodes importantes, les évènements marquants et les pratiques ayant eu lieu sur les terres du temple tels que relatés par les différents visiteurs militaires et civils tout au long de son histoire.


En fin de chaque période, je dresserai un petit résumé ou approfondirai certains faits.


Je traiterai ensuite séparément de sujets précis qui méritent d’être soulignés ou plus approfondis avant d’en établir ma conclusion.


Sous les Tang (618-907)


- Le premier exploit des « moines guerriers » est attesté sur une stèle datée de 728. Ceux-ci auraient repoussé une attaque de bandits tentant de faire main basse sur le monastère en 610 (toute fin de la dynastie Sui).


- Le premier exploit militaire au service de l’état est quant à lui daté de 621, lorsque les "moines" défendirent leurs terres qu’un seigneur de guerre du nom de Wang Shichong tentait de saisir. En réaction, les moines guerriers s’allièrent à l’ennemi de Wang, prêtant main forte à l'empereur montant Li Shimin dans la bataille de Hulao. Leur fait d’arme contribua à la victoire de Li Shimin dans ses efforts de sécurisation de la ville de Luoyang. Le nouvel empereur Tang gratifia alors le monastère de titres honorifiques militaires et d’une stèle signée de sa main, plaçant le temple sous protectorat de l’état. Le monastère gagna ainsi ses titres de noblesses qui ne le quitteront plus.


Stèle signée de Li Shimin


Cela soulève la question suivante : quelle pratique était dispensée au monastère à cette période ? 


La vérité est qu’aucun historien n’en a la moindre idée/preuve. Il n’existe pour ainsi dire rien de ce côté-là. Compte tenus des faits militaires, il est certain qu’une pratique martiale y fut dispensée, mais aucune trace d’aucune sorte n’en mentionne rien de concret. Ceci dit, en connaissance du développement des arts martiaux chinois, on peut aisément déduire qu’il s’agissait certainement d’une pratique martiale au sens militaire du terme ; du combat en formation et majoritairement (voire exclusivement) l’utilisation des armes.


Il faut savoir que les seuls textes disponibles, mentionnant l’art de combat des moines de Shaolin furent écrits des siècles plus tard. Ces textes attribuaient l’invention et l’enseignement des techniques de bâton à la divinité Vajrapani (Jin Na Luo en chinois)… Ok… D’un point de vue mystique, c’est très intéressant. D’un point de vue substantiel sur la détermination historique de la pratique… bien moins.  


Durant les dynasties Song et Yuan


Aucun texte ne fait allusion aux pratiques martiales ou militaires de Shaolin, alors que nous savons que des forces armées monastiques du mont Wutai prirent, elles, part à diverses batailles conte l’envahisseur Jin. Donc, à priori en termes de document, rien durant près de 800 ans. Également aucun rapport gouvernemental sur une quelconque participation des moines soldats dans des affaires militaires à la solde de l’état durant cette même période. Ceci ne révèle pas qu’aucune forme de pratique martiale n’ai été pratiquée au monastère, mais cela met en évidence d’aucune preuve corroborant une pratique continue vieille de 1500 ans.


- 1356 le temple fut détruit par les « Turbans Rouges ». Entre 1356 et 1359 le temple est complètement abandonné. Fait démontrant qu’aucune force armée n’est à ce moment-là en place dans le monastère ou qu’aucun art martial n’y est pratiqué sérieusement.


Sous les Ming (1368-1644)


Sous les Ming, une nouvelle ère s’ouvre à Shaolin. On peut clairement parler d’âge d’or des exploits militaires du temple. La majorité des évènements politiques et militaires se situent ici. A partir du début du 16ème siècle les moines s’illustrent dans des batailles contre des bandits au Henan, puis dans des campagnes de provinces voisines pour la solde du gouvernement.


- 1510 Contre le bandit Liu Liu

- 1520 Contre le bandit Wang Tong

- 1522 Campagne au Yunnan pour le gouvernement

- 1522 Campagne au Shandong pour le gouvernement

- 1548 Dans l’épitaphe de Sanqi Yugong il est notifié que des Moines Guerriers de Shaolin occupent des places officielles aux frontières du Shanxi et du Shaanxi

- 1552, 55 moines Shaolin prennent part au combat contre le bandit Shi Shangzhao

- 1553, 1ère bataille à Hangzhou contre les pirates Japonais en coalitions d’autres moines guerriers provenant de temple de Hangzhou.

- 1553 Bataille contre les pirates Japonais au port Wenjia

- 1553 Bataille contre les pirates Japonais à la « Plage du sable Blanc »

- 1554 Bataille contre les pirates Japonais dans la ville de Yexie

- 1554 Bataille contre les pirates Japonais à Majabang

- 1555 Bataille contre les pirates Japonais au pont de Liuli