Dans de précédents articles « L’apprentissage dans la tradition » et « Maîtres élèves et trahisons », j’avais succinctement abordé le sujet de la cérémonie du Bai Si. Je vais ici en donner la signification exacte et en décrire le déroulement dans le détail.
Cérémonie de disciple de mon élève Alberto Rossitto de Turin, Italie
Tel que je l’ai mentionné à plusieurs reprises dans divers écrits, l’école de kung-fu est basée sur le modèle de pensée traditionnel confucéen. Il n’a jamais existé en Chine de passage de grades, de ceintures différentes ou tout autres avancements de ce type. L’école était basée sur le modèle de la structure familiale. Le grand maître étant le grand père, le maître le père, l’élève avancé le grand frère, la nouvelle recrue le petit frère etc… Chacun connaissait sa place et respectait de fait, sa position.
Néanmoins, une différence se faisait envers les élèves ; on les distinguait de deux sortes : les Sihings (grands frères) et les Sidai (petits frères). Le maître formait généralement une première génération de disciples en qui il incombait la tâche par la suite, de former la base des nouveaux arrivants jusqu'à l’obtention d’un niveau déterminé par le maître. Suite à cela, l’enseignement direct pouvait débuter. Généralement, après un certain temps de pratique, le maître manifestait son désir à l’étudiant de l’introduire dans son groupe d’élèves plus proches, ses disciples. Ces derniers accédaient aux techniques plus avancées, à des exercices collants plus à leur niveau désormais atteint, aux textes anciens… bref, aux « secrets » du maître.
Pour ce faire, il fallait passer la cérémonie du « Bai Si » 拜 師
La cérémonie Bai Si était une cérémonie d'entrée, qui donnait accès aux enseignements en porte fermé . Elle était une chose sérieuse, que l'ont ne prenait pas à la légère. Elle se voulait être un pont de rapprochement entre le maître et l’élève ou l’affectif jouait un rôle prépondérant. Le disciple donnant allégeance au maître qui à son tour l'acceptait à valeur égal d'un fils. En ce sens, rappelons que le terme pour définir le maître est Sifu 師父. Composé de deux caractères: Si 師 (maître) et Fu 父 (père). La définition est donc Maître/père, un mentor. L’élève aspirant devait remplir plusieurs conditions, ici aussi, déterminés par le maître. Il est difficile de définir avec précision les critères à remplir, ceux-ci étant fixés par chaque maître dépendamment de leur caractère naturel. Cependant, les conditions d’entrée englobaient généralement et à égale importance, le niveau technique et l’étique morale. La loyauté était souvent un critère de choix. Dans le contexte historique, les écoles étaient souvent rivales, les maîtres portaient une attention particulière au contrôle de leurs élèves... et de leurs techniques. Il était donc question d’un respect mutuel, mais surtout d’un acte d’implication. L’élève témoignait par ce biais son désir de continuer plus profondément dans l’apprentissage, de sa volonté et de sa loyauté. L’acceptation du maître prouvait de la confiance qu’il témoignait envers son élève ; chose qui au regard d’un étudiant dévoué est immense.
Déroulement du Bai Si 拜 師
Autel en l'honneur de Sigung Lao Siu Leung
Les caractère chinois utilisés pour le Bai Si sont:
Bai : 拜 signifie saluer, se courber Si 師 signifie le maître. L'étudiant donne donc allégeance au maître. Certaines écoles appliquent le Bai Si en porte fermé, avec seulement l’élève aspirant, d’autres, avec les anciens disciples et autres élèves en fonction de témoins. La cérémonie que je vous présente ici est celle tel que pratiquée dans notre lignée de Pakmei de Foshan.
La veille de la cérémonie, l’autel des ancêtres a été consciencieusement nettoyé. Les offrandes sont déposées pour les générations passés, fruits (de couleur rouge, orange ou jaune), riz bouilli, fleures, baguettes…. Trois tasses sont disposées, contenants eau, alcool de riz et thé.
Les trois tasses, l'encens, les offrandes...
- Le maître débute le cérémonial. Il brûle trois encens, se prosterne trois fois. L’encens est brûlé en l’honneur des ancêtres, en témoignage du respect que nous leur portons. En chine, le chiffre trois est important, il représente la trinité ciel, homme, terre. Le maître prend alors place sur la chaise disposée devant l’autel.
- L’élève aspirant va préparer le thé. Pendant ce temps, les autres disciples présents font brûler chacun leur tour l’encens en l’honneur des ancêtres.
- L’élève aspirant présente maintenant l’encens. Ensuite, il s’agenouille devant le maître, présente la tasse de thé et respectueusement formule « Sifu, Yam Cha » (maître, bois le thé). Le maître prend la tasse et boit trois gorgés. Puis, il déverse le reste du contenu de la tasse sur l’autel. Acte symbolisant le partage avec les ancêtres, les prenant ainsi à témoins de l’acceptation du nouveau disciple.
Sifu "Yam Cha" (Sifu, bois le thé)
- Le nouveau disciple présente une enveloppe rouge dans laquelle il a préalablement déposé un peu d’argent.
- Le maître prononce quelques mots personnels pour l‘élève et lui remet un dossier avec quelques matériels relatifs au style et à l’école.
Dorénavant, l’élève fait intégralement partie de la famille Pakmei de Lao Siu Leung.
Quatre de mes sept élèves proches ayant effectué la cérémonie
Les disciples n’ont pas plus qu’avant pour obligation de suivre un entrainement acharné. En revanche, comme précités plus haut, ils ont désormais accès à d’autres types de connaissances si ils le désirent. Il est normal qu’après un temps de pratique important, les élèves décrochent. Rien de mal à cela. Cependant, lorsque le maitre à besoin de ses disciples, ils répondent toujours présents et seront éternellement les bienvenues...
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