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A la découverte des Seng Bing 僧兵 les Moines Guerriers Chinois partie 1

Dernière mise à jour : 9 déc. 2019


Peinture murale à Shaolin, province du Henan, montrant des moines à l'escrime aux armes

Ceux qui me connaissent savent combien il est important (et réjouissant il faut bien l’avouer) pour moi de debunker les mythes et légendes véhiculés dans les arts martiaux chinois.


Comme une fois n’est pas coutume, voici (encore) un nouvel exercice du genre... Ah oui c’est vrai... finalement, ce n’est pas une fois, …c’est carrément coutume.

Avant de commencer, je voudrais porter à votre attention le fait que cet article m’a demandé énormément de temps, la lecture de plusieurs ouvrages et articles en langues étrangères, ainsi que des discussions avec des chercheurs très sérieux. Toutes les pistes mènent aux mêmes conclusions. Comprenez bien que mon but ici n’est aucunement de faire le procès du bouddhisme ou de Shaolin et de ses pratiques. L’objectif du projet est initialement de présenter les moines guerriers en tant que tels, comme ils l’étaient vraiment. Les investigations que je menais se succédant, revenaient inévitablement vers le monastère de Shaolin. J’ai donc décidé de vous présenter les moines guerriers en deux articles distincts. Le premier décrira ce qu’était un moine guerrier et expliquera dans quel univers sociétal il évoluait. Le second traitera spécifiquement du cas de Shaolin, en remettant les événements s’étant déroulés au temple durant toute son histoire. Nous parlerons bien entendu de ses moines, de leur comportement et de leurs pratiques au fil de leur histoire. Une chronologie extrêmement fournie, si ce n’est, quasi complète.

Commençons…

Les moines bouddhistes

L’image largement répandue des moines bouddhistes dans l’imagerie collective est une image de sagesse, d’altruisme, de renoncement et d’austérité. Cette image est-elle conforme à la réalité historique ? Était-ce là, la seule et unique vérité du comportement des moines ?

Distinguons bien deux sortes de moines : les Moines Réguliers et les Moines Guerriers. Les premiers étant ceux ayant prononcé les vœux, ne vivant que dans l’amour de la foi et les seconds, ceux pratiquants toutes sortes de besognes militaires.

Les moines étaient-ils généralement éduqués, possédant des richesses ou bien étaient-ils plutôt des mendiants ayant besoin d’aumônes pour subvenir à leurs besoins ? Ici, deux mondes s’entrechoquent… Allons-y… !

La réponse est claire, les moines vivants dans les grands monastères placés sous protectorat de l’état étaient des hommes majoritairement éduqués, vivant quelquefois dans l’opulence et étant de fait propriétaires terriens, employant (ou forçant selon les cas) les villageois à travailler sur leurs terres.

Les moines vivants dans de petites structures, étaient soit autonomes, soit sous patronage d’un plus grand monastère des environs. Ceux vivants dans de petits monastères étaient majoritairement moins éduqués et souvent, vivaient de façon plus austère.

Pour ce qui est des moines guerriers, patientez, j’y arrive.

La religion et la pratique

Il faut premièrement comprendre une chose essentielle. Les arts de la guerre et la religion ne sont pas liés ! Obtenir le salut par la pratique martiale est un concept construit tardivement dans la dynastie Ming (un article sera à venir sur le sujet, je ne le développerai pas ici), mais qui s’est ancré dans l’inconscient collectif par les films et lectures faciles. De la profusion de textes religieux disponibles sur Shaolin (ou d’autres temples) sous la période Ming, aucune mention n’a jamais été faite, nulle part, d’une quelconque relation entre la pratique martiale et la recherche ou l’accès à l’illumination ou l’élévation spirituelle, JAMAIS !

La première des interdictions d’un moine est de tuer. Ce principe de non-violence est appelé ahimsa, qui signifie littéralement « ne pas frapper ».  Cette règle s’applique aux animaux, mais aussi et surtout aux êtres humains. Les textes originels indiens sont catégoriques à ce sujet. Les moines ont l’interdiction de transporter des armes, de jouer de la violence ou de rejoindre une armée.Nous constatons donc bien que la guerre, la violence et le fait de commettre des actes répréhensibles sont clairement des choses opposées aux concepts bouddhistes : or, la guerre (l’art martial), c’est tout cela.

Pourtant, sous les Tang, il existait des moines tantriques spécialistes de rites élaborés ayant pour but de fournir à l’armée gouvernementale une panoplie de dieux bouddhistes guerriers censés leur assurer la victoire.

Au Tibet, durant des centaines d'années, des sectes bouddhistes rivales se sont engagées dans de violents affrontements. En 1660, le 5e dalaï-lama était confronté à une rébellion dans la province de Tsang, la forteresse de la secte Kagyu rivale avec son haut lama connu sous le nom de Karmapa. Le 5ème Dalaï Lama a appelé à une répression sévère contre les rebelles, en ordonnant à l'armée mongole d'oblitérer les lignes mâles et femelles, ainsi que les progénitures, je cite : "comme des œufs cassés contre les rochers .... Bref, anéantissez toutes traces d'eux, même leurs noms. "

Ceci est ce que l’on nommera des « Violences Monastiques ».

Comment le clergé bouddhiste pouvait-il légitimer la violence monastique ?

Alors que le bouddhisme est célèbre à travers le monde pour ses préceptes pacifiques, les moines de tous ordres ont appliqué ou cautionné la violence au gré des événements qu’ils ont dû traverser. Comment ont-ils pu légitimer cette violence ? Et bien les textes Pali, tirés du Theravada interdisent la violence à la sangha (la communauté monastique) mais ils laissent une fenêtre ouverte sur l’acceptation d’avoir recours à des guerriers, la violence faisant partie intégrante de ce monde. Une sorte de violence, pour combattre la violence et finalement si tuer une personne pouvait en sauver 500… une sorte de tuerie compatissante, c’est acceptable n’est ce pas ?

Certaines autres sectes bouddhiques ont remanié des textes, leur faisant plus ou moins dire ce qu’ils voulaient. De cette sorte, certains textes allouaient aux moines l’utilisation de la violence dans certains cas, soumis encore ici à l’appréciation des abbés.

Bien entendu tous les moines n’ont pas toujours cautionné les dérapages violents de leurs confrères, comme nous pouvons le constater dans le poème du moine bouddhiste intellectuel nommé Yuanxian ayant vécu au 16ème siècle titré « Lamentation des troupes monastiques ». Il y condamne les pratiques guerrières des moines soldats.

Les raisons majeures de la pratique martiale

Concrètement, la pratique des arts martiaux à Shaolin, et d’ailleurs comme dans tout autre temple, relevait premièrement de leur sécurité contre les bandits ; deuxièmement de leur unique moyen de faire valoir leurs droits sur leurs terres et de rester hors des attaques de seigneurs ou petits gouvernementaux du coin ; troisièmement d’assister encore et toujours le gouvernement dans ses multiples batailles, leur assurant ainsi l’appui et la protection de ce dernier sur le long terme. C’était donc, en partie, à des fins politiques. Cette relation de patronage / protectorat de l’état était chose courante pour les temples fournissant du soldat. Ce lien avec le gouvernement leur permettait d’être exemptés de taxes et de bénéficier d’arrangements divers.

La relation entre la religion et la recherche de l’amélioration de soi n’ayant originellement pas de lien, il est par contre tout à fait plausible que certains des moines ordonnés aient eu une connaissance de pratiques martiales avant leur entrée dans les ordres. Si cela était le cas, la boxe était pratiquée durant leur temps libre et était pour ceux-ci d’affection purement personnelle.

Les Seng Bing 僧兵 (Moines soldats) ou Wu Seng 武僧 (Moines Martiaux)

Alors ces « moines soldats », qui étaient-ils vraiment ? Ils étaient en réalité une force paramilitaire, une milice servant à protéger le temple. Pour devenir un Seng Bing ou Wu Seng (moine martial), l’aspirant devait faire les 5 vœux classiques qui font d’un civil un bouddhiste, et 5 autres vœux temporaires liés aux règles de vie de la communauté monastique. Les vœux classiques des moines réguliers allaient eux de 72 à 300 ! Les Seng Bing n’étaient pas éduqués dans les règles du bouddhisme. On peut en déduire qu’ils n’étaient donc « moines » que d’apparence. Les règles monastiques imposaient à quiconque vivant dans le temple, de revêtir la robe de moine et de se raser la tête, les Seng Bing devaient donc se plier à cette règle très précise. Ils étaient donc considérés par la population vivant à l’extérieur au même titre que les moines réguliers et étaient généralement confondus.

Leur rôle était donc celui d’être les défenseurs du temple, mais également de ses intérêts, enfin… c’était ce qu’ils étaient censés faire. Étant sous les ordres des moines réguliers, ils étaient supposés leur obéir, accomplir les basses besognes et le labeur physique. Or, de nombreux faits montrent que les moines guerriers s’avérèrent souvent incontrôlables, ne respectant les vœux que de façon superficielle, bravant sans arrêt les interdits, mangeant de la viande, buvant de l’alcool. Ils avaient également tendance à exacerber les conflits politiques à l’intérieur des monastères avec souvent à la clef, des morts et des temples brûlés. A l’extérieur, ne respectant pas plus leurs vœux, ils étaient connus pour utiliser la force quand bon leur semblait. Ils violaient les femmes des villages alentours, abusaient régulièrement des enfants (c’était malheureusement également le cas des moines réguliers, la pédérastie était une pratique courante dans les monastères), volaient, se saoulaient, se battaient…

Fondamentalement les Seng Bing étaient considérés comme la lie de la société monastique. Dans la littérature populaire on leur allouait les noms de Dian Seng (moines fous), Feng Heshang (mauvais moines), Yeheshang (moines sauvages) ou encore Jiurou Heshang (moine viande / vin). Cependant, fatalement utiles, le clergé bouddhiste cherchait dans les textes et doctrines de quoi justifier ces actes de violence en contradiction directe à leurs idéaux.

Les moines guerriers, en plus de protéger les temples et ses intérêts, faisaient aussi office de soldats rapportés, quand le gouvernement se trouvait à court d’hommes. En 1561, la gazette du Zhejiang (Zhejiang Tong Zhi) en atteste. Elle mentionne la contribution de « Moines Guerriers » dans la bataille de 1553 au Mont Zhe. Il n’est malheureusement pas stipulé de quel monastère ces moines provenaient.

Ici encore, leurs comportements laissaient à désirer, n’ayant comme garde fou que le commandement. Durant certaines campagnes, les moines de plusieurs monastères furent amenés à devoir collaborer ensembles. Là, également, ça ne se passait pas dans le meilleur des mondes ; ils avaient tendance à affronter d’autres groupes de moines soldats comme en atteste l’incident survenu entre un moine de Shaolin et plusieurs moines guerriers d’un temple de Hangzhou en 1553.

Les faits se sont produits durant la campagne anti-pirate japonaise (les Woku). Les moines de Shaolin prirent part à plusieurs batailles. La plus grande victoire fut celle ayant eu lieu le 31 juillet 1553. 120 moines guerriers prirent les armes pour repousser les pirates japonais. Les rangs étaient composés de moines guerriers de différents temples avec à leur tête, un moine de Shaolin. Ils disséminèrent des centaines de pirates et seulement 4 moines furent tués. Le moine Tianyuan fut choisi à la tête de l’expédition  suite à une querelle l’opposant à divers moines d’un temple de Hangzhou. Il a dit-on, vaincu 8 de ces moines en deux rounds, un à mains nues et un autre armé d’une barre de fer. Nous avons ici des moines faisant preuve de violence pour une quête de pouvoir, bien loin du détachement à l’égo auquel ils étaient censés aspirer…

Dans le cas des moines guerriers Tibétains, nous pouvons également constater ce trait de caractère. Ainsi, Melyvn C. Goldstein stipule dans son article « A Study of the Ldab Ldob » de 1964 ce qui suit :

« Plus important que le sport, les Ldab Ldobs aiment se battre, entre eux ou avec des profanes. Dans les monastères, les Ldab Ldobs ont une hiérarchie lâche qui est basée sur leur succès en tant que combattants. Un Ldab Ldob reconnu comme un grand combattant a atteint l'honneur le plus recherché qu'un Ldab Ldob peut acquérir. En fait, un Ldab Ldob qui ne se bat pas, ou ne peut pas gagner des combats, est un Ldab Ldob seulement vêtu de la robe. »

Il y indique aussi que ces moines guerriers sont pleinement conscients de leurs actions et de leur rôle inférieurs aux moines réguliers :

Même si le Bouddha est apparu dans le ciel,

nous ne saurions pas comment avoir la foi,